Portrait de la Société du Grand Paris : trois professionnels au cœur du tunnelier du Grand Paris Express

©Société du Grand Paris / Cedric Emeran

Lancé le 3 avril à Champigny Plateau, Steffie-Orbival, le premier tunnelier du Grand Paris Express, a commencé à creuser un tronçon du nouveau métro. Aux commandes, des professionnels qui partagent la même passion pour les travaux souterrains. Rencontre avec Anaïs, Guillaume et Michel.

« Le monde souterrain est passionnant. Quand on tombe dedans, on n’a plus envie d’en sortir. Avec les gens que l’on croise régulièrement sur les différents chantiers, on forme une petite famille au sein de laquelle on se sent bien. Quand j’arrive le matin au travail, j’ai toujours le sourire, même si je me suis levée à 5 heures ! » Anaïs Ferreira, 27 ans, est ingénieure matériel tunnelier chez Implenia (groupement Alliance). Elle est chargée de l’entretien et de la maintenance de Steffie-Orbival. Au quotidien, elle gère les commandes des équipements nécessaires au bon fonctionnement de la machine, le remplacement des pièces usées ou cassées, et supervise l’emploi du temps des compagnons en activité sur le tunnelier (congés, pointage).

Une femme aux commandes

À Champigny Plateau, Anaïs est l’unique femme qui travaille sur le tunnelier. « On retrouve principalement le personnel féminin dans la section administrative ou contractuelle. Sur ce site, si on retire les métiers de la qualité, je suis pour le moment la seule qui évolue dans la partie tunnel. Mais cette situation est exceptionnelle car le milieu des travaux publics s’est beaucoup féminisé ces dernières années. » Les femmes ne représentent que 12% du secteur de la construction, alors que les métiers leur sont de plus en plus adaptés. « Sur les chantiers, les charges sont aujourd’hui limitées à quinze kilos, même pour les hommes », précise-t-elle. « De nombreux outils et moyens de levage, comme les ponts roulants, les grues à voussoirs, les systèmes de palans, de pull lift et de monorail manipulent les pièces lourdes à notre place. Une femme peut donc prétendre à un poste d’opératrice ou encore de pilote de tunnelier. La majorité des formations leur est accessible. »

Après des études généralistes, Anaïs a intégré une école d’ingénieur pour obtenir un diplôme en 5 ans. « Je souhaitais travailler dans le milieu du BTP, mais mon projet n’était pas clairement défini. Je me suis finalement spécialisée dans les travaux publics après avoir passé 7 mois au Brésil. Construire des tunnels et des barrages est rapidement devenu mon but professionnel. J’ai commencé par les tunnels et j’y suis pour un moment. Les barrages attendront ! »

©Société du Grand Paris / Cedric Emeran

Un métier, une passion

Guillaume Lagoute, 33 ans, est lui aussi très attaché aux tunnels. « L’ambiance dans les souterrains est vraiment unique. Il me serait aujourd’hui impossible de travailler dehors », avoue le pilote de Steffie-Orbival. « Cela peut paraître fou, car on descend dans les gaz et la poussière, mais on y va avec le sourire ! C’est un univers particulier dans lequel on ne peut pas rester si on n’est pas passionné. » Avant de travailler sur le prolongement de la ligne 14, puis sur le projet ferroviaire Lyon – Turin, il s’est essayé à la méthode de creusement traditionnel en tant que chef d’équipe mineur, chargé des explosifs. Un parcours plutôt étonnant pour cet ancien étudiant issu de la filière médico-sociale : « J’ai appris sur le tas. Dans le secteur des travaux publics et du souterrain, on commence au bas de l’échelle, puis on se forme petit à petit. Quand on a la soif d’apprendre, on évolue rapidement. »

Enfermé dans sa cabine insonorisée, les yeux rivés sur les écrans de contrôle et les mains toujours prêtes à actionner les commandes du long tableau de bord, le pilote est l’élément clé du tunnelier. « Je suis une sorte de chef d’orchestre », ironise Guillaume, employé par Implenia. « Si les fûts de graisse ont besoin d’être changés, je l’indique au mécanicien. Même chose pour allumer et éteindre le mortier. J’agis sur tous les composants en étant en contact radio permanent avec les différents compagnons en poste sur le tunnelier. Sans leur aide, et celle du chef de chantier qui, lui, est mobile sur la machine, je ne pourrais pas la faire progresser. » Contrairement aux idées reçues, la dimension psychologique prime largement sur le côté physique. « Il faut réfléchir et agir. Seul mon cerveau travaille, ce qui est déjà assez épuisant ! », confie Guillaume. « Je suis payé pour faire avancer le tunnelier sans le casser. J’appuie sur les boutons pour le faire aller où il faut. Pour exercer mon métier, il faut être à la fois très attentif, réactif et méticuleux. Une grande résistance au stress est aussi de rigueur. »

©Société du Grand Paris / Cedric Emeran

Vie nomade

S’il ne tarie pas d’éloges sur sa profession, le pilote admet que les contraintes logistiques, telles que le confinement, les horaires décalés ou les déménagements fréquents, peuvent en démotiver plus d’un : « Il est rare que les chantiers soient situés les uns à côté des autres. On est donc souvent amené à changer de ville. Pour ma part, et même si cela peut paraître étrange, je n’aime pas rester trop longtemps au même endroit, donc cette vie nomade ne me dérange pas. »

« J’ai essayé d’être sédentaire, proche de ma famille, mais ce n’est pas un mode de vie qui me convient », reconnaît aussi Michel Petit. À 39 ans, le responsable du service électrique des chantiers situés entre les futures gares Noisy – Champs et Bry – Villiers – Champigny de la ligne 15 Sud a déjà travaillé sur de nombreux sites, notamment à l’étranger : « Mes séjours en Egypte et dans d’autres pays d’Afrique m’ont permis d’acquérir l’ouverture d’esprit et l’adaptabilité nécessaires à la bonne pratique de mon métier car les exigences ne sont pas les mêmes partout. Je n’aurais pas le même bagage si j’étais resté en France. » Electromécanicien de formation, il a intégré le milieu souterrain par le biais de l’intérim : « J’ai rencontré des mentors qui m’ont donné la passion du métier. Il est encore difficile de parler de vocation aujourd’hui car les professions du tunnelier restent méconnues, ce qui est regrettable. »

Un apprentissage permanent

Le monde du souterrain a effectivement connu une période creuse entre 2010 et 2014. « L’absence de grands chantiers a conduit les entreprises, ainsi que les futurs actifs, à se désintéresser du secteur », poursuit Michel Petit. « L’activité repart progressivement en Île-de-France et en province, mais la pénurie de main d’œuvre commence à se faire sentir. Les personnes motivées et ouvertes à nos métiers ont définitivement une place à prendre. Ce n’est pas un domaine statique : quand on sait rester humble par rapport au travail de ses aînés et qu’on est à l’écoute des besoins des autres, il est aisé d’évoluer. »

Car si leurs parcours sont différents, ces trois collègues sont unanimes : le monde du souterrain est tout sauf routinier. Selon Anaïs, « chaque tunnelier est unique. Quand on en connaît un par cœur, il faut passer au suivant, qui n’a pas été forcément conçu par le même fabriquant. Idem pour les terrains à creuser, qui ne sont jamais les mêmes. Il faut se réadapter à chaque nouveau chantier, même après quinze ans de métier ». Michel, dont les équipes sont chargées de fournir l’énergie au tunnelier et à ses composants, a la particularité d’avoir travaillé à la fois sur la machine et sur les installations de surface : « Je voulais être polyvalent pour être capable de gérer les personnes qui utilisent la machine, mais aussi celles qui s’occupent de sa maintenance. Ce double profil me permet d’avoir une vision large du tunnelier et de savoir exactement comment il fonctionne. »

©Société du Grand Paris / Cedric Emeran

Au cœur du tunnelier

Véritable train-usine, Steffie-Orbival, dont la longueur atteindra, à terme, 100 mètres, a des airs de fourmilière. Mécaniciens, électriciens et opérateurs tunnelier travaillent en 3 x 8. Lorsqu’ils se relayent, Guillaume Lagoute et les deux autres pilotes débriefent afin de connaître les difficultés rencontrées pendant leur temps de travail. Le week-end, ils se déplacent à tour de rôle sur le chantier pour contrôler que tout se passe bien. Le tunnelier tourne alors au ralenti, mais il est parfois nécessaire de remettre de la pression dans la terre et de le faire avancer d’une dizaine de centimètres pour éviter l’affaissement des bâtiments situés à la surface.

En période de montage de la machine, il n’est pas rare qu’Anaïs Ferreira et Michel Petit soient également sollicités en dehors des heures d’ouverture du chantier. « Je peux être amenée à faire les 3 x 8 quand des grosses pièces sont acheminées de l’usine pendant la nuit » précise l’ingénieure. Pour l’heure, elle prépare déjà l’arrivée du second tunnelier du Grand Paris Express. Au plus fort des travaux du nouveau métro, 21 tunneliers travailleront en simultané. Du jamais vu en Europe.


Pour plus d’informations : http://www.societedugrandparis.fr